L’ethnographie au péril de la formalisation des procédures d’enquête

La plupart des chercheur.es se revendiquant d’une approche ethnographique s’accordent sur l’importance de la phase de négociation de l’entrée sur un terrain. Cette dernière représente un moment privilégié de compréhension du monde étudié (Becker, 1998/2002 ; Cefaï, 2010). La description et l’analyse des conditions d’entrée, des difficultés mais aussi des « facilités », ainsi que des ajustements réalisés, procurent une première vue sur ce qui se joue sur ce terrain, sur l’état des rapports de force, sur les alliances, sur les hiérarchies officielles et officieuses, etc. Considérer les conditions d’acceptation ou de refus, le degré d’officialisation ou d’informel nécessaire, les accords à obtenir, les arguments qui convainquent ou qui crispent, les intérêts pour l’enquête, ce que l’on peut/doit dire ou ne pas dire… fait partie des vigilances et des recommandations de la plupart des guides d’enquête de terrain (Arborio et Fournier, 1999 ; Beaud et Weber, 2010). L’objet de recherche n’est pas dissociable des conditions d’enquête (Bizeul, 1998 ; Schwartz, 2012) et les échanges préalables constituent une première définition instructive de la situation d’enquête, conditionnant les résultats ultérieurs (Peneff, 2004).

Cette phase de négociation/compréhension se voit pourtant reconfigurée par la multiplication des procédures visant à encadrer les recherches. Dans un contexte où la sensibilité à la transparence (Alloa et Citton, 2018 ; Buydens, 2004 ; Quéré, 2005) et aux droits des personnes (Eyraud, 2013) est vive, les recherches sont de plus en plus sommées de formaliser leurs protocoles d’enquête et d’expliciter leurs objectifs en amont de leur réalisation (Fassin, 2008 ; Roca i Escoda et al., 2020). Le souci généralisé de se prémunir contre les poursuites judiciaires et d’anticiper les dilemmes éthiques génère une transformation du cadre légal et règlementaire dans lequel les recherches ont à s’inscrire. De ce fait, la formalisation croissante du processus d’entrée sur le terrain, de l’organisation de l’enquête et de l’obtention de l’accord des participant.es nous conduit à interroger les reconfigurations des enjeux inhérents à l’ethnographie, ses apports en propre, sa capacité à produire des connaissances sur le monde étudié, notamment permettre d’accéder à une version non officielle de l’institution.

Il s’agit dans cet article de se demander dans quelle mesure les conditions actuelles de la recherche empirique transforment les modalités d’accès aux terrains et interrogent l’approche ethnographique jusque dans ses fondements. À partir d’une recherche particulière menée au sein de l’enseignement primaire genevois, nous décrivons le processus ayant permis de recueillir des données, les ajustements réalisés, les difficultés et les contraintes éprouvées par les chercheur.es. L’organisation du propos suit trois phases : la négociation du projet de recherche réalisée en amont de celle-ci – la conception du projet et les procédures visant à obtenir les accords nécessaires – (première partie), la négociation de l’entrée sur le terrain avec les principaux acteurs concernés – les directeur.trices et les équipes pédagogiques – (deuxième partie), la négociation qui s’opère au fil de l’enquête auprès des acteurs individuels, en l’occurrence avec chaque enseignant.e (troisième partie).

La recherche1 sur laquelle s’appuie cette réflexion porte sur les relations école-familles, plus précisément sur les scènes de leur mise en œuvre concrète par des acteurs particuliers, les entretiens individuels entre les enseignant.es et les parents. Si nous nous sommes centré.es sur les interactions, l’enquête s’inscrit dans le cadre d’une approche ethnographique qui permet de considérer la pluralité des scènes, la diversité des acteurs, l’ensemble de l’activité institutionnelle qui configure ces espaces et pratiques. Il s’agit de croiser différentes méthodes, scènes, points de vue d’acteurs (Payet, 2016 ; Pelhate et Rufin, 2016) et de porter une attention particulière aux perceptions et au vécu, aux interactions et aux événements officiels ou ordinaires (Becker, 1983/2016 ; Goffman, 1967/2011 ; Woods, 1990). Cette recherche s’est par ailleurs voulue « participative », engageant une réflexion avec les équipes enseignantes autour de ce thème.

La négociation du projet de recherche menée dans un contexte de formalisation

Dans cette première partie, il s’agit de prendre la mesure du contexte actuel de formalisation des recherches qui pèse sur le démarrage des enquêtes en général et de la nôtre en particulier. Nous relevons deux tendances qui alimentent cette formalisation et ont eu des implications sur la définition de notre projet de recherche ainsi que sur la négociation de l’entrée sur le terrain.

La prépondérance du modèle de planification-quantification

La première tendance est la prépondérance du modèle de planification-quantification. Le secteur de la recherche est actuellement marqué par une injonction croissante à l’anticipation, à la prévision et à la quantification. Obtenir un financement ou les autorisations nécessaires implique la rédaction de protocoles de recherche destinés à déterminer à l’avance le contenu et la temporalité de l’enquête, ses modalités, le nombre de participant.es, le type et la quantité d’observations et d’entretiens, leur durée ou encore les scènes qui seront investiguées. Les conséquences sur l’enquête sont d’autant plus notables que ce modèle traverse aussi bien l’institution dont dépend le.la chercheur.e que celle qu’il.elle étudie, ce qui pose la question de son indépendance et de son autonomie.

Pour notre part, les premières réunions consacrées à notre recherche ont traduit le souhait de réaliser un travail d’équipe. La convergence s’est d’abord constituée autour de l’approche inductive (Glaser et Strauss, 1965) qui s’appuie sur l’observation directe (Emerson, 2001) et l’immersion sur le terrain (Olivier de Sardan, 2008 ; Peneff, 2009). Cela nous a conduit.es dans un premier temps à préférer

« ne pas définir l’objet trop précisément, circonscrire une thématique large puis affiner avec les observations de terrain » (Compte rendu de réunion d’équipe)

. Mais cette posture a rapidement dû être précisée dans la rédaction du projet destiné à l’institution scolaire et aux organismes financeurs sollicités. Afin de répondre à leurs remarques, l’ouverture à l’émergence a été convertie en une planification affirmée.

Aussi, la demande de financement n’a été acceptée qu’à l’issue d’un processus de plusieurs années conduisant, d’une part, à une formalisation croissante du projet de recherche et, d’autre part, au report de l’enquête, puis à son démarrage avec « les moyens du bord ». De ce fait, la demande de financement n’a finalement porté que sur l’exploitation et l’analyse des données. Ces dernières ayant été récoltées, nous pouvions alors adopter le registre attendu en les synthétisant par des chiffres imposants, attestant leur « représentativité ». Nous avons réalisé 150 observations de rencontres enseignant.e-parents, 88 entretiens « post-observation », 63 observations de réunions de professionnel.les et d’innombrables moments d’observation flottante (Pétonnet, 1982). Ces chiffres permettent de valoriser les descriptions et la posture ethnographiques (Laplantine, 1996 ; Mauss, 1947) auprès d’acteurs qui en sont peu familiers et pour qui l’une des preuves de la scientificité repose sur des données objectivables. La mise en œuvre d’une démarche ouverte, permettant d’

« appréhender le monde commun de l’école, […] (de) saisir de l’intérieur la constitution de sens, […] la réalité des pratiques » (Extrait du projet de recherche),

est ainsi légitimée. De plus, nous étions alors à même de reconstituer (puisqu’a posteriori) les différentes phases de l’enquête ethnographique en présentant un calendrier détaillé. La recherche accomplie, il n’y a plus d’incertitude sur son déroulement.

Quant aux conséquences concrètes de cette planification-quantification, deux options sont envisageables. Soit cela ne change pas grand-chose à l’enquête elle-même, ce qui questionne la pertinence d’une formalisation qui n’est alors que de façade, occasionnant une simple perte de temps (et de moyens) pour les chercheur.es – un financement plus précoce nous aurait permis d’investir plus largement les terrains (d’y être présent.es plus souvent ou d’inclure un établissement supplémentaire). Soit, comme ce modèle tend à se diffuser et à être attendu par tous, y compris par les enquêté.es, cela perturbe également les rapports entre chercheur.es et enquêté.es. L’entrée sur le terrain et plus largement les relations se judiciarisent, ce qui reconfigure les apports spécifiques de l’ethnographie.

Les procédures d’éthique et de déontologie

La deuxième tendance s’observe paradoxalement dans l’importance croissante accordée à l’éthique et à la déontologie, tout du moins sous une certaine forme. Les réflexions sur ce sujet trouvent leurs racines dans diverses controverses publiques, notamment à l’encontre des protocoles d’expériences médicales, lesquels ont longtemps ignoré le consentement et le vécu des patient.es2. Elles traduisent aujourd’hui des préoccupations qui touchent à plusieurs domaines sensibles, comme les usages sociaux des résultats de recherche, les effets des enquêtes sur les participant.es ou encore la question du positionnement du.de la chercheur.e face à des actes déviants ou dégradants.

Si ces questionnements sont légitimes, les dispositifs mis en place font peu de cas des spécificités de la démarche ethnographique. À Genève, comme ailleurs dans le monde, l’une des réponses apportées, par l’Université et par l’institution scolaire, a été la mise en place il y a quelques années d’une Commission de recherche dans les écoles et d’une Commission d’éthique chargées de définir quels principes président à la recherche. Ces commissions disposent d’un pouvoir important puisque sans leur accord aucune enquête ne peut désormais débuter. Ont également été mis en place une charte déontologique et l’usage de formulaires de consentement destinés à être signés par chaque enquêté.e. Requérant une explicitation précise des conditions d’enquête et le rappel du caractère éminemment libre de toute participation, ces formulaires répondent, théoriquement, à un souci de transparence et de formalisation.

Si notre projet de recherche n’a pas eu à passer par ces Commissions spécifiques – à l’époque, ce processus n’était nécessaire que pour les recherches impliquant une présence des chercheur.es dans les classes, au contact des élèves –, la réflexion peut être esquissée à partir des procédures actuelles. Nous relevons plusieurs contraintes qui pèsent sur les recherches. Tout d’abord, ces procédures contraignent le temps de l’enquête, puisqu’un calendrier doit être respecté pour le dépôt des demandes. Par exemple, pour l’autorisation de recherche dans les écoles,

les demandes sont déposées à la présidence de chaque section qui les transmet à la sous-commission concernée […]. Si la demande est approuvée, elle est transmise au SRED3, […] qui les soumet aux autorités scolaires concernées. […] La réponse des autorités scolaires est envoyée au chercheur.4

De plus, ces procédures s’accomplissent rarement d’un seul trait. Des précisions sont demandées aux requérant.es, notamment sur les méthodes et les outils. La question de recherche doit être

spécifiée en deux ou trois questions concrètes d’opérationnalisation, permettant de comprendre ce qui va être retenu des observations, entretiens, questionnaires, étude de documents, etc. […] Les instruments comme les questions d’entretien par exemple devront figurer en annexe, pour une raison éthique.5

Cet extrait nous amène à la principale contrainte de ces procédures pour l’ethnographie : l’anticipation et à la prévisibilité. Dans une recherche de ce type, les méthodes et outils sont ajustés en permanence, les participant.es changent, l’objet se redéfinit. Comment alors informer, en amont, des objets qui émergent en cours d’enquête ? Est-il possible de se rendre sur le terrain en ne regardant que ce qui a été anticipé, de ne parler qu’aux personnes annoncées ? Faut-il occulter les imprévus dans les comptes rendus de recherche ou les publications ? Si les conséquences de ces procédures ont été limitées pour notre recherche, nous avons toutefois été confronté.es à la préoccupation des professionnel.les pour une « éthique formalisée » (nous y reviendrons) et avons éprouvé une certaine méfiance dans les échanges initiaux avec les enseignant.esse traduisant par de multiples questions telles que :

« Avez-vous prévu des formulaires de consentement pour les élèves ou une présentation dans les classes ? » (

Journal de terrain, enseignante de l’établissement B)

Pour conclure cette première partie, nous constatons que les aspects de quantification-formalisation, d’un côté, et d’éthique et de déontologie, de l’autre, se développent de concert, le premier apparaissant comme un moyen d’atteindre le second, et c’est bien ce qui est problématique pour l’ethnographie. Pour remplir les conditions nécessaires à l’entrée sur un terrain, obtenir des financements ou des autorisations, il est préférable, voire indispensable de respecter certaines attentes, notamment planifier, quantifier, circonscrire. Cela incite à élaborer des tactiques dans la présentation de l’enquête et à en gommer certains aspects trop difficiles à formaliser. Ainsi, tout un pan de l’enquête dans lequel résident pourtant les principaux apports de l’ethnographie est rendu moins visible car peu légitime. Il devient presque impossible de mentionner aux commissions spécifiques que l’on fait de l’ethnographie, d’assumer les flous, les ajustements, les imprévus, les incertitudes inhérents et nécessaires au processus de recherche, qui permettent pourtant une meilleure compréhension des mondes sociaux observés.

La négociation de l’accès aux terrains de recherche

La validation du projet par les institutions universitaires et scolaires ne rend pas moins nécessaire de négocier directement avec les établissements visés par la recherche, en l’occurrence avec les directeur.trices et les équipes pédagogiques. Considérée dans une perspective ethnographique, cette phase représente un moment propice à la découverte du monde étudié. En amont de notre enquête, le choix des terrains a été guidé par plusieurs questionnements. Allions-nous cibler les établissements du Réseau d’enseignement prioritaire (REP), viser un équilibre entre REP et non-REP, chercher une représentativité plus large en enquêtant également en milieu favorisé ? De même, allions-nous investir un seul établissement très largement, ou plusieurs en nous focalisant sur un segment de leur activité ? Allions-nous enquêter sur plusieurs terrains en même temps ou consécutivement ? (Comptes rendus de réunions d’équipe) Finalement, les terrains se sont « ouverts » à la croisée des préoccupations méthodologiques, des ressources disponibles et des relations personnelles tissées avec les directeur.trices. Nous avons opté pour un nombre d’établissements suffisant pour prendre la mesure de la diversité des pratiques, mais réaliste au regard de la faisabilité. L’enquête a été menée dans trois établissements, tous affiliés au REP, dans des temporalités proches (sur deux années scolaires) mais avec des démarrages décalés de manière à nous adapter aux calendriers locaux. Les premiers contacts avec les directeur.trices ont eu lieu de manière informelle, à l’occasion d’un rassemblement des cadres de l’enseignement primaire du canton ; ils ont été réactivés au moment de la planification concrète de l’enquête.

L’appropriation de la recherche par les directeur.trices

Dans un premier temps, la négociation menée auprès des directeur.trices s’est traduite par leur appropriation du projet de recherche. Si l’intérêt porté est propre à chaque directeur.trice (Barrère, 2008), la thématique a rencontré un écho particulier dans les établissements du REP. Les directeur.trices y ont vu l’occasion d’impulser une réflexion de leur équipe sur les relations école-familles, qui sont reconnues politiquement comme importantes. Tous trois ont intégré la recherche à leur projet d’établissement, ce qui permettait de dégager des crédits et du temps pour la participation des enseignant.es (Journal de terrain). Le projet de recherche a ainsi rencontré une nécessité organisationnelle, dont les directeur.trices sont les garant.es, qui consiste à faire vivre un collectif-établissement en impulsant des réflexions et des actions communes. Le projet d’établissement est alimenté et légitimé par la coopération avec une équipe universitaire, contribuant à répondre à une injonction institutionnelle. Cette instrumentalisation de la recherche par les établissements peut être questionnée, mais permet d’accéder aux terrains, ainsi qu’aux enjeux institutionnels configurant le quotidien des professionnel.les (Pelhate et Rufin, 2016). Au fil de l’enquête, l’insertion dans le Projet d’établissement a été utilisée par les directeur.trices pour inciter la participation des enseignant.es –

« c’est dans le Projet d’établissement, c’est votre projet ! » (

Journal de terrain, Établissement B) – ou pour recentrer l’intérêt par rapport à des attendus institutionnels et professionnels. En réunion d’établissement, une directrice précise :

« le thème des relations école/familles fait partie du projet établissement, l’objectif étant d’améliorer l’annonce de prescriptions dans le cadre d’entretiens difficiles. » (Journal de terrain, Établissement C)

Pour elle, la recherche devait servir, dans une visée institutionnelle, à réduire la tension dans les moments prescriptifs (orientation, proposition de suivi psychopédagogique…) – ce qui ne correspondait pas à nos objectifs. Afin de favoriser l’acceptation de l’enquête, notre équipe a convenu qu’il fallait apporter à ces professionnel.les des pistes de réflexion dans la gestion de cette interaction pour laquelle ils.elles se sentent peu formé.es et qui constitue un moment d’incertitude. Nous avons ainsi proposé une phase de réflexion avec les enseignant.es sur un des thèmes ayant émergé de l’analyse des données. Dans ce cadre, nous avons participé à un groupe de travail portant sur la constitution d’un

« guide de l’entretien pour une relation collaborative entre l’enseignant et les parents »

(Établissement A) et sur la comparaison des effets de la présence ou de l’absence de l’enfant dans les entretiens (Établissement C). Dans le troisième établissement, seule la phase de restitution/échanges à partir d’extraits d’entretien a été organisée.

À partir de cette description et au regard des transformations présentées précédemment, il est possible d’interroger la liberté de la recherche et du.de la chercheur.e à plusieurs niveaux. Premièrement, un questionnement s’esquisse autour de la liberté/possibilité de mener l’enquête dans des établissements dont la thématique n’apparaitrait pas prioritaire, là où les relations avec les parents ne sont pas reconnues – ni politiquement (REP), ni par les acteurs – comme étant un sujet d’intérêt ou, encore, là où les directeur.trices (ou les équipes) se méfieraient de l’intrusion de chercheur.es au sein de leur établissement.

Deuxièmement, devoir justifier de l’intérêt d’une recherche pour obtenir un financement ou pour accéder au terrain contraint à ancrer la recherche au regard de préoccupations politiques ou financières qui, d’une part, ne sont pas nécessairement celles des chercheur.es et, d’autre part, renforcent ces considérations. Par exemple, en écrivant dans notre projet de recherche que,

« compte tenu des préoccupations actuelles, il s’avère d’autant plus important d’étudier les relations entre l’école et les familles dans les établissements du REP » (Extrait du projet de recherche)

, nous avons d’une certaine manière entériné la spécificité de cette problématique en milieu défavorisé, ce qui ne correspond pas à une posture ouverte telle que prônée par l’ethnographie. Que faire des intérêts pour des thèmes qui ne seraient pas reconnus majeurs, dont on ne pourrait pas tirer une reconnaissance publique (un thème qui ne rencontre pas les préoccupations officielles de l’institution, qui n’entre pas dans le cahier des charges des directeur.trices, qui ne soit pas présent dans le cadre des Projets d’établissement, qui ne correspond pas à un sujet médiatique) ?

Troisièmement, cela pose la question de la possibilité de mener l’enquête auprès d’enseignant.es pour lesquel.les la hiérarchie n’aurait pas donné officiellement son accord. La liberté du.de la professionnel.le (enseignant.e) et plus largement la liberté individuelle sont alors interrogées. Si les enseignant.es ont un devoir de réserve, celui-ci n’est pas incompatible avec leur participation indépendante à une recherche, à condition que l’anonymat (des personnes et des lieux) soit respecté. Enfin, les « trous noirs » (établissements inaccessibles du fait d’un désaccord de l’institution ou des professionnel.les) questionnent la possibilité de rendre compte et de dénoncer d’éventuelles pratiques problématiques à l’égard des usager.ères.

Méfiance et attentes des équipes enseignantes

Dans un second temps, la négociation de l’entrée sur le terrain a été menée auprès des équipes enseignantes. Leurs réactions au moment de la présentation de la recherche font apparaitre des ambivalences. L’intérêt de certain.es enseignant.es s’est concentré sur la problématique de la relation avec des familles qui ne correspondent pas aux codes de l’école. Beaucoup d’entre eux.elles ont également manifesté des craintes concernant les modalités pratiques de l’enquête : comment informer et demander l’accord des parents ? Comment faire en cas de présence de l’enfant ou d’autres professionnel.les ? Ces problèmes ont été résolus en concertation.

Une enseignante suggère que ce soit toujours la même personne [enquêteur] qui vienne observer la même enseignante : « ce serait bien d’avoir une évaluation… euh, une évolution avec les mêmes personnes ! » Nous convenons de l’intérêt de suivre des « cas », qui seront à définir entre l’enseignante et l’enquêtrice.6

Cette demande indique la part relationnelle de toute enquête et traduit la relative insécurité dans laquelle se trouvent les enseignant.es face à des enquêteurs.trices qu’ils.elles ne connaissent pas, mais aussi plus largement face à d’autres adultes, professionnels ou profanes (Pelhate et Rufin 2018) – les enseignant.es étant habitué.es à travailler seul.es face à leurs élèves, à l’abri des regards. Les enseignant.es ne se perçoivent pas comme interchangeables et entendent créer un lien de confiance avec les enquêteur.rices, auxquel.les il est alors possible de confier ses manières de faire, ses techniques, ses doutes aussi. Toutefois, la concertation n’a pas empêché la persistance des craintes au sujet de l’accord des parents, crainte d’une acceptation qui serait forcée ou d’une frilosité des parents qui perturberait la rencontre. La plupart nous prédisait de nombreux refus, surtout dans les

« situations difficiles »

(Journal de terrain, Établissement A) mais, a posteriori, il apparait que ces craintes étaient surtout celles des enseignant.es qui, par ailleurs, ne parvenaient pas à envisager l’intérêt que les parents pouvaient avoir à participer.

La participation à l’enquête ayant été laissée au libre-choix (des enseignant.es et des parents), les équipes enseignantes ont eu à exprimer leur accord, ce qui nous a permis d’accéder au processus de prise de décision au sein des établissements, habituellement peu visible. Dans l’établissement A, où la directrice s’est avérée à la fois proche des enseignant.es et assez directive, l’accord de ces dernier.es était quasi-unanime, matérialisé par un vote à main levée. Pourtant, moins de la moitié des enseignant.es présents ce jour-là a finalement participé à la recherche, ce qui indique que ce consentement relevait avant tout d’une conformation au fonctionnement de l’établissement. Un accord collectif est donc questionnable du point de vue de la liberté individuelle, puisque certain.es se sentent obligé.es de participer. Toutefois, un engagement public visant à se conformer à la hiérarchie ou aux dynamiques d’équipe est réversible quand vient le moment de s’exposer personnellement. En outre, cette étape est une première vue sur le style de direction de chaque établissement et sur leurs dynamiques collectives. Dans l’établissement B, la décision de participer à la recherche a également été impulsée par le directeur mais, en étant davantage intégrée au processus d’élaboration du Projet d’établissement ; l’accord de l’équipe s’est exprimé sur le Projet dans son intégralité (pas uniquement sur la recherche) et a bénéficié de la finesse stratégique du directeur lors de la présentation aux enseignant.es. Dans l’établissement C, seule une des écoles le composant a participé à la recherche car son équipe était davantage intéressée. Cette dernière étant par ailleurs restreinte et très soudée, la recherche a été investie par l’ensemble des enseignant.es.

La nécessité d’informer officiellement les parents de manière à leur laisser la possibilité de refuser leur participation a conduit à rédiger, conjointement avec la direction des établissements, une note explicitant les objectifs de la recherche. Cette dernière traduit un souci quasi juridique de la part des établissements lié au respect des droits des parents et des enfants. Par la suite, nous n’avons eu aucune information sur les parents ayant coché la case correspondant à un refus. Les enseignant.es ayant pris à leur charge la gestion de ces réponses négatives en ne nous informant pas des rencontres avec ces parents, nous n’avons pas eu accès à cette partie de la population. Il est certes important de garantir la liberté de ne pas participer, mais encore faut-il s’assurer de la compréhension des enjeux de cette participation et questionner les effets d’un formulaire transmis par plusieurs intermédiaires. De plus, nous nous étions engagé.es à nous réassurer de l’accord et de la compréhension des parents avant chaque observation.

« Les enseignant.es ont d’ailleurs apprécié que soit laissée la possibilité aux parents, une nouvelle fois, en situation, de refuser notre présence. »

7. Nous avons constaté que lorsque la possibilité nous était faite de leur expliquer directement les raisons de notre présence, très peu de refus étaient exprimés, contrairement à ce que les enseignant.es avaient prédit.

Pour conclure cette seconde partie, nous relevons que la phase de négociation avec les équipes enseignantes fait émerger des pistes d’analyse, ce qui est propre à toute démarche inductive – laquelle suppose une posture ouverte – mais aussi à la démarche interactionniste – qui accorde de la valeur à la façon dont les acteurs définissent eux-mêmes leur rôle ou leurs difficultés. Au cours de cette phase, les acteurs attirent l’oreille des chercheur.es vers les problèmes rencontrés, tels que les différentes acceptions de la difficulté dans la relation aux parents :

« Comment faire avec les parents qui ne viennent pas ? », « Comment faire avec un papa qui s’énerve ? », « Comment faire lorsqu’un parent n’accepte pas les solutions qu’on lui propose ? »

(Journal de terrain, réunions d’établissement). Si ces propos peuvent avoir une visée stratégique (faire des chercheur.es des allié.es), ils doivent surtout être interprétés comme une possibilité de faire reconnaître l’existence de problèmes rencontrés au quotidien. Se pose alors la question de l’équilibre à trouver entre l’indépendance de la recherche et la nécessité de rencontrer l’intérêt des différent.es protagonistes. Jusqu’où se laisser utiliser pour accéder à la compréhension des logiques locales ? Modifiant cette phase de négociation, la formalisation du processus d’accès aux terrains (partie 1), qui se focalise sur l’obtention d’accords officiels, tend à gommer ce questionnement, ce qui est problématique du point de vue de l’éthique et de l’accès aux scènes de l’enquête. La négociation directe avec les enquêté.es n’est pas moins nécessaire, mais elle est contaminée par l’officialisation de l’entrée sur le terrain qui accentue l’impression que la recherche arrive « par le haut » et qu’ils.elles n’ont pas vraiment leur mot à dire.

La négociation de l’accès aux scènes dans le déroulement de l’enquête

Dans une recherche ethnographique, la négociation de l’accès aux scènes de l’enquête ne se joue pas une fois pour toutes. Les accords, refus et ajustements ouvrent des perspectives d’analyse et permettent de comprendre la diversité des représentations et des pratiques professionnelles.

Ajustements à la diversité des enseignant.es

Pour amorcer les observations, il était prévu que chaque enseignant.e volontaire nous communique ses rendez-vous avec les parents. Certain.es l’ont fait rapidement, tandis que d’autres ne nous en ont informé qu’occasionnellement, voire pas du tout. Finalement, peu de rencontres étaient portées à notre connaissance. L’accord rapide des équipes n’était pas aussi unanime que nous l’imaginions – ce qui traduit au passage le faible pouvoir prescriptif de la hiérarchie. Pour remédier à cet obstacle, les modifications opérées concernant la prise d’informations ont permis de découvrir des différences de fonctionnement individuelles (entre enseignant.es) et collectives (entre établissements). De même, les réactions des enseignant.es à l’égard de la recherche sont apparues variables en fonction de la présence ou non de leurs collègues. Ils.elles pouvaient sembler fermé.es et réticent.es en collectif alors qu’ils.elles étaient ouvert.es et enthousiastes dans l’intimité de leur classe. À l’opposé, d’autres enseignant.es nous ont spontanément présenté l’ensemble de leurs entretiens prévus, ce qui nous a donné l’occasion de déceler leurs représentations et attentes vis-à-vis de la recherche, mais aussi des relations avec les parents.

Par exemple, les situations décrites comme

« difficiles »

peuvent aussi bien renvoyer à l’élève (

« il a des problèmes cognitifs »

,

« lui, c’est le comportement »

), aux actions mises en place (

« il y a un suivi chez le psy »

,

« il suit les cours d’appuis »

) ou encore aux familles (

« non francophones »

,

« pas dans la culture scolaire »

). On voit ici l’intérêt de ne pas avoir prédéfini « les rencontres de parents difficiles », de manière à percevoir l’ensemble des problématiques et leur appréhension entremêlée, loin d’être homogène (Pelhate et Rufin, 2016). Par ailleurs, nous avons constaté que les quelques annulations provenant des enseignant.es étaient justifiées par la gêne potentielle occasionnée par notre présence, dans une situation jugée trop délicate. À travers un refus formulé au nom des parents, l’enseignant.e s’érige en défenseur.euse d’acteurs qu’il.elle juge affaiblis, comme si ces derniers n’étaient pas en capacité d’énoncer eux-mêmes leur volonté, et comme s’ils ne pouvaient pas trouver un intérêt à ouvrir cette scène délicate à des personnes extérieures. Par extension, ces refus questionnent. Bien sûr, ne pas souhaiter participer à une recherche est un droit fondamental. Dans le même temps, cette liberté pour les enseignant.es de rejeter les observations ou certaines d’entre elles, par exemple les « rencontres jugées trop difficiles », conduit à se demander en quoi ces rencontres sont difficiles et, plus encore, pour qui elles le sont. Le refus vise-t-il à protéger les parents ou les professionnel.les eux.elles-mêmes ? Pourquoi cette scène est-elle tenue à l’abri des regards ?

Une fois la recherche entamée, des étapes de restitution auprès des équipes ont permis de faire le point sur l’évolution de l’enquête, par exemple en attirant l’attention sur un déséquilibre du nombre d’observations selon les degrés d’enseignement. Les enseignant.es relevant du cycle élémentaire8 ont davantage participé spontanément à la recherche, ce qui semble indiquer un intérêt particulier pour le thème de la relation avec les parents et une plus grande habitude à échanger sur leurs pratiques. De même, ces moments ont permis d’avoir des retours de la part des enseignant.es quant à leur perception de la recherche. Ils.elles ont noté que la présence du.de la chercheur.e ne perturbait pas les rencontres :

De manière assez générale et spontanée, les enseignant.es soulignent notre « présence très discrète ». « J’ai même oublié que j’étais observée ». En revanche, ils.elles trouvent « frustrant de ne pas avoir de retour » individuel sur leur pratique. Nous précisons qu’un retour immédiat aurait comme limite de nous situer davantage dans une forme de jugement que de les inciter à être dans une posture réflexive. On réagirait nous aussi à chaud, alors que le retour nécessite de prendre du recul par rapport aux situations observées. Globalement, ils.elles se sont senti.es « très en confiance » et n’ont pas vécu le moment d’entretien post-observation comme « une intrusion ».9

Cet extrait illustre les déplacements de l’opinion des enseignant.es au sujet de la recherche, d’abord source d’inquiétude puis, progressivement, source d’attentes, concernant la conformité de leurs pratiques ou des pistes d’amélioration. On peut percevoir dans cette appropriation par les professionnel.les l’un des enseignements de l’enquête au long cours, lorsqu’elle s’ancre dans un lieu et que les liens d’interconnaissance font tomber les barrières entre chercheur.es et participant.es. La connaissance réciproque, les échanges sur le travail enseignant et, d’une certaine manière, sa valorisation, contribuent à alimenter la volonté de prendre part à l’enquête et, au moins chez une partie des professionnel.les, à pouvoir en tirer bénéfice, en termes de pratiques ou de reconnaissance.

La négociation individuelle comme prémisse de l’analyse

S’il n’est pas question dans ce texte de revenir sur l’ensemble des résultats issus de la recherche, il convient de questionner le lien entre l’enquête – dans sa dimension la plus concrète (présence physique, regards, interpellations) – et l’interprétation de nos matériaux. Cette question se pose notamment à propos des échanges entre enseignant.es et parents. Ainsi, juste avant les premières rencontres, lorsque les parents n’avaient pas encore donné leur accord écrit et que la possibilité d’observer la rencontre était incertaine, les enseignant.es mettaient régulièrement en garde les chercheur.es, comme le montre la situation suivante :

Avant d’enchainer un deuxième entretien, les deux enseignantes disent craindre davantage la réaction de cette mère qui arrive, par rapport à la recherche mais aussi sûrement par rapport à l’annonce qu’elles doivent faire. Une des enseignantes craint un refus de l’observation. « J’espère que vous n’êtes pas venue pour rien ! […] Elle n’est même pas venue à la réunion de présentation, alors… ». Finalement, une des enseignantes avouera après l’entretien avoir été surprise par l’acceptation de la mère.10

A posteriori, cette remarque fait écho au fait que très peu de rencontres ont essuyé un refus des parents, contrairement à ce que laissaient augurer bon nombre d’enseignant.es, tant au moment des réunions collectives qu’avant les rencontres. Les anticipations de refus par les enseignant.es – qui concernaient avant tout les parents avec lesquels ils.elles avaient eu précédemment des échanges jugés difficiles – appellent deux remarques. D’une part, certains parents ont sans doute considéré l’enquêteur.trice comme un tiers susceptible de réguler les difficultés relationnelles avec les enseignant.es. Dans ce cas, la situation d’enquête possède un statut de médiation et de régulation, pouvant aller jusqu’à atténuer les potentiels conflits. D’autre part, l’anticipation du refus des parents consiste à leur prêter des intentions (volonté de s’opposer, d’être en conflit, etc.), faisant fi de l’incertitude dans laquelle il.elles se trouvent au moment de s’entretenir avec les enseignant.es (peur du jugement scolaire sur leur enfant, crainte d’être mis en cause, etc.) (Deshayes et Payet, 2018). À ce sujet, l’enquête souligne qu’aux yeux des enseignant.es, l’espace de l’entretien doit avant tout être tenu à l’écart de la confrontation, quand bien même il s’agit d’un espace éminemment sensible. Cet aspect montre que la plupart des enseignant.es ont intégré la nécessité d’entretenir des relations pacifiées et que la manifestation du désaccord – et donc potentiellement du conflit – doit être évitée à tout prix (Deshayes et al., 2017). La phase de négociation individuelle avec les enseignant.es a ainsi permis, en amont des observations des rencontres, de saisir les représentations ordinaires à propos des parents, les réactions attendues, celles qui sont censées être appropriées ou inadaptées. Saisir ces conceptions, c’est accéder à l’inconfort enseignant, tout autant qu’à la conception dominante de ce que doivent être les relations enseignant.es-parents.

Conclusion

Cet article souligne que l’analyse des conditions d’enquête est intrinsèque à la démarche ethnographique. La négociation menée auprès des acteurs individuels et collectifs, ainsi que les ajustements réalisés au regard de leurs préoccupations et de leurs fonctionnements, ne reviennent pas simplement à céder face aux contraintes d’opérationnalisation de l’enquête. Au contraire, l’analyse du processus de négociation, propre à l’ethnographie, donne l’occasion de saisir, entre autres, l’environnement qui configure le terrain et la manière dont les acteurs s’y inscrivent. L’intérêt accordé, dès les premiers contacts, aux problèmes rencontrés par les enseignant.es, au sens qu’ils.elles donnent aux relations avec les parents, à leur manière de définir la difficulté scolaire ou à leur vécu permet d’esquisser des interprétations peu saisissables par l’intermédiaire d’autres démarches.

Toutefois, la formalisation croissante du processus de négociation de l’entrée sur le terrain interroge particulièrement les recherches ethnographiques. Elle tend à contrecarrer une négociation interindividuelle et directe avec les enquêté.es, élaborée dans le temps, à partir de l’instauration de liens de confiance réciproques (Payet, 2018), qui est pourtant à la base des apports majeurs de l’ethnographie (Beaud et Weber, 2010 ; Becker, 1998/2002 ; Cefaï, 2010). De même, l’étirement du temps entre l’élaboration du projet de recherche et l’accès aux scènes professionnelles, qui a caractérisé notre recherche, suggère que l’ethnographie fait face à une reconfiguration des rapports entre les enquêteur.rices et les institutions enquêtées. Certes, l’entrée sur un terrain a toujours nécessité d’en négocier l’accès, mais la prépondérance des procédures et la judiciarisation des relations avec les usager.ères irriguent de façon croissante les négociations avec les membres de l’institution scolaire et, plus largement, des institutions socio-éducatives. Si les travailleur.ses du front restent celles.ceux avec lesquel.les il faut traiter pour accéder à leurs pratiques, la négociation interindividuelle paraît de plus en plus dénaturée, colonisée par les procédures formalisées. À ce titre, la crainte concernant l’accord du public – ici, les parents d’élèves – et leur nécessaire assentiment écrit font figure de révélateur, puisque nombre de professionnel.les s’érigent en défenseurs des usager.ères et justifient leurs réticences au nom de la protection de l’enquêté.e, de son droit à la vie privée. Toutefois, elles nous apparaissent avant tout comme une protection des institutions (et des professionnel.les) (Becker, 1983/2016) et comme l’expression d’une judiciarisation des relations sociales.

Le contexte de formalisation de la recherche a des effets tangibles sur les différentes phases de la négociation de l’accès au terrain. Dès l’élaboration du projet de recherche, celui-ci doit intégrer diverses attentes et normes de planification et de quantification pour obtenir les autorisations ou financements nécessaires. Or, ce cadrage de plus en plus contraignant transforme les conditions de mise en œuvre d’une démarche ethnographique, qui table sur une prévisibilité relativement faible. La formalisation attendue prône une posture hypothético-déductive, qui conçoit la méthode et l’enquête comme un moyen de vérification ou d’infirmation d’hypothèses préalablement définies. Ce mode de fonctionnement s’avère étranger à la démarche ethnographique, qui exclut que l’enquêteur.rice ait « une connaissance claire de ce qu’il cherche » (Cefaï, 2010). L’intérêt de cette démarche réside justement dans l’ouverture du.de la chercheur.e au surgissement. Il est ainsi difficile de connaître à l’avance quels espaces pourront être investis et quels liens seront noués, mais aussi quelles questions apparaitront.

Si l’ethnographie peut « retomber sur ses pattes » en intégrant les contraintes imposées par les différentes institutions, organismes ou acteurs à l’analyse, en en faisant des occasions de compréhension du monde – par exemple sa judiciarisation –, deux limites sont repérables. D’une part, apparait le risque de ne jamais attaquer la phase de terrain et de s’engluer dans des procédures sans fin, à travers la multiplication des dossiers à monter et des accords à obtenir pour une seule et même recherche : auprès de l’université, des organismes financeurs, de l’institution visée par l’enquête, des responsables locaux.les, des équipes et de chaque participant.e. D’autre part, dans le contexte de formalisation des recherches, on peut s’interroger sur la possibilité d’expliciter publiquement les connaissances issues de la réflexivité du/de la chercheur.e et du processus ethnographique, rendant encore plus difficile la reconnaissance de sa légitimité. Se pose alors avec force la question de l’autonomie et de la liberté de la recherche.